Oui, nous utilisons TOUS l’IA sans cadre dans nos associations. Maintenant, parlons de ce qui se passe réellement avec vos données une fois que vous appuyez sur « Entrée ».
« Mais l’IA oublie tout après, non ? »
C’est LA question que tout le monde se pose. Et la réponse est : c’est beaucoup plus complexe que ça.
Contrairement à ce que beaucoup pensent, les intelligences artificielles ne « se souviennent » pas de vos conversations comme le ferait un être humain avec sa mémoire. Mais dire qu’elles « oublient tout » est également faux.
La vérité ? Elle se situe dans une zone grise que personne ne nous explique clairement.
Les trois types de « mémoire » de l’IA
1. L’historique de conversation (la partie visible)
Ce que vous voyez : Cette liste de toutes vos conversations passées dans votre interface ChatGPT, Claude ou autre.
Ce que ça signifie vraiment :
- Stocké sur les serveurs de l’entreprise
- Accessible par l’entreprise (potentiellement)
- Peut être conservé même après suppression de votre côté
- Soumis aux lois du pays où sont les serveurs (souvent USA)
La fausse sécurité : Supprimer une conversation de votre interface ne garantit PAS sa suppression des serveurs.
2. Les données d’entraînement (la mémoire collective invisible)
Le principe : Vos conversations avec les versions gratuites peuvent être utilisées pour améliorer les futurs modèles d’IA.
Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire ?
Quand vous demandez à ChatGPT : « Comment gérer un conflit avec un bénévole qui refuse de respecter les horaires ? », vous contribuez peut-être à :
- Enrichir la base de connaissances sur la gestion associative
- Former la prochaine version sur les problématiques du secteur non-profit
- Créer une « mémoire collective » des défis organisationnels des associations
Vos dilemmes d’aujourd’hui deviennent les « bonnes pratiques » suggérées demain.
3. Les métadonnées (la mémoire comportementale)
Ce qu’on oublie souvent : Même si le contenu de vos conversations n’est pas utilisé, les métadonnées le sont presque toujours.
Qu’est-ce qu’une métadonnée ?
- Fréquence d’utilisation (combien de fois par jour/semaine)
- Horaires d’utilisation (vous utilisez l’IA surtout le soir ? En période de rush ?)
- Longueur des conversations (discussions complexes vs. questions rapides)
- Types de requêtes (rédaction, analyse, conseil, traduction…)
- Corrélations géographiques (autres utilisateurs de votre région/secteur)
Pourquoi c’est révélateur ? Ces données dessinent un portrait précis de vos pratiques professionnelles, de vos difficultés récurrentes, de vos périodes de surcharge.
Google Search vs. IA : pourquoi c’est différent
On compare souvent l’utilisation de l’IA à Google. C’est selon nous une erreur.
Avec Google, vous révélez vos intentions
- « Subventions associations 2025 »
- « Exemple lettre de motivation bénévole »
- « Conflit équipe associative que faire »
Google voit ce que vous cherchez.
Avec l’IA, vous révélez votre processus de pensée complet
Un exemple concret :
Google : « Comment motiver bénévoles »
ChatGPT : « Je dirige une association d’aide alimentaire avec 15 bénévoles. Depuis 3 mois, j’ai remarqué que 5 d’entre eux sont de moins en moins présents. Ils disent que c’est à cause de leurs emplois du temps, mais je sens qu’il y a autre chose. Notre trésorière pense que c’est parce que nous n’organisons plus de moments conviviaux depuis le départ d’une collaboratrice. Comment je peux aborder ça sans les braquer ? J’ai peur qu’ils partent… »
Voyez la différence ?
L’IA ne voit pas juste votre recherche. Elle voit :
- Votre structure organisationnelle (15 bénévoles)
- Vos problèmes spécifiques (désengagement progressif)
- Vos hypothèses (lien avec le départ)
- Vos inquiétudes (peur de les perdre)
- Votre style de management (éviter la confrontation)
- Le nom de vos collaborateurs
C’est infiniment plus révélateur qu’une simple recherche Google.
Ce que vos conversations révèlent (sans que vous le réalisiez)
Sur votre organisation
Exemple de conversation type : « Peux-tu m’aider à rédiger un mail pour expliquer à notre financeur principal que nous avons dépassé le budget de 8 000€ sur le projet XYZ à cause du retard de livraison du matériel ? »
Ce que ça révèle :
- Vous avez un financeur principal (dépendance financière)
- Le montant du dépassement (échelle de votre budget)
- Un projet nommé XYZ (vos activités)
- Des problèmes de gestion (retards, dépassements)
- Votre relation avec les financeurs (besoin de justification)
Sur vos bénéficiaires
Exemple : « Comment répondre à Sophie, 28 ans, qui nous demande une aide d’urgence pour la troisième fois ce mois-ci alors que nous avons une règle de maximum 2 aides par mois ? Elle a deux enfants en bas âge et vient de perdre son emploi. »
Ce que ça révèle :
- Prénom (même changé, contexte identifiant)
- Âge et situation familiale précise
- Historique de la personne (3ème demande)
- Vos règles internes
- La vulnérabilité spécifique de la personne
Sur vos stratégies
Exemple : « On prépare une demande de subvention pour un projet d’insertion par le maraîchage. Notre concurrent principal est l’association Les Jardins Solidaires qui a eu 50 000€ l’an dernier. Comment se différencier ? »
Ce que ça révèle :
- Votre prochain projet
- Vos concurrents nommément
- Leurs montants de financement
- Votre stratégie de positionnement
- Vos faiblesses perçues
La vraie question : qui a accès à ces données ?
Scénario actuel (versions gratuites)
- L’entreprise d’IA : accès total
- Sous-traitants potentiels : modérateurs de contenu, prestataires techniques
- Autorités : selon les lois du pays (patriot Act aux USA par exemple)
- Failles de sécurité : piratages, fuites de données
Ce qu’on ignore souvent
Les conditions d’utilisation changent régulièrement. Ce qui n’était pas utilisé pour l’entraînement hier peut l’être demain, sauf si vous payez pour des garanties contractuelles.
Les cas où c’est particulièrement problématique
Données de santé
« Un bénéficiaire nous a confié qu’il est séropositif et craint la discrimination… »
Situations de violence
« Une femme accueillie hier nous a raconté les violences de son conjoint… »
Données financières sensibles
« Notre trésorerie est en déficit de 15 000€, on a 2 mois devant nous avant… »
Informations sur les mineurs
« Le jeune Karim, 15 ans, suivi par nos éducateurs depuis 3 ans… »
Pour toutes ces situations : l’IA non encadrée est un risque majeur.
Alors, que faire ?
- Première prise de conscience : Chaque conversation est une trace.
- Deuxième prise de conscience : Ces traces sont infiniment plus révélatrices que vos recherches Google.
- Troisième prise de conscience : Ces traces échappent totalement à votre contrôle une fois envoyées.
Dans notre prochain article, nous verrons comment encadrer concrètement l’utilisation de l’IA dans votre association : outils sécurisés, protocoles d’anonymisation, politiques d’usage réalistes.
Conclusion : on se pense chez nous, mais on ne l’est pas
Le piège psychologique de l’IA non encadrée : l’interface est simple, conviviale, rassurante. On tape dans une petite boîte de dialogue, depuis notre bureau, sur notre ordinateur.
On se sent « chez nous ». Mais nous ne le sommes pas. Chaque phrase tapée traverse des serveurs, des algorithmes, des systèmes de stockage que nous ne maîtrisons pas.
La question n’est plus de savoir SI vos données laissent des traces, mais COMMENT vous allez pouvoir les protéger